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Rencontre(s)

Marie Tihon, photojournaliste

J'ai toujours apporté énormément d'importance à l'information. C'est même, je pense, un défaut dans ma photographie, car je donne la priorité aux informations que peuvent apporter une photo, ce qui au final, peut résulter en une photo moins bonne ou moins forte.

Avec ce premier gros projet en Turquie, je voulais montrer comment ces personnes issues de la communauté syrienne étaient forcées de recommencer leur vie à zéro. Montrer la résilience dont ils font preuve alors qu'ils doivent apprendre une nouvelle langue, commencer à devoir trouver un travail, de nouvelles études, ...

C'est là que j'ai rencontré Jasmine. Elle est très vite devenue une de mes meilleures amies. C'est pour ça, je pense, que je suis devenue photojournaliste.
L'appareil photo, finalement, c'est une très bonne excuse pour m'immiscer dans la vie des gens.

Lorsque Erdogan a annoncé qu'il ouvrait les frontières vers l'Europe et qu'il ne retenait plus les migrants en Turquie, je suis partie documenter ça le soir même.

C'était du hot news, je pensais qu'il allait y avoir beaucoup de reporters sur place. Moi qui adore la rencontre et prendre le temps d'échanger avec les gens, je redoutais un peu comment créer du lien avec ces personnes.

Mais directement arrivée, il y avait cette maman, qui s'appelle Turkiye, qui portait le nom de ce pays qui l'avait accueillie pendant 5 ans.

J'ai amené un appareil argentique, celui que ma grand-mère a acheté à ma naissance, et qui date de 1992.

J'ai aussi apporté un carnet. Un parmi tous ceux que j'ai. Je note tout dans ces carnets. Ils sont la base de mes reportages.

Un voyage de repérage est toujours important lorsqu'il s'agit d'une communauté, ou en tout cas d'un pays qu'on ne connait pas.

Heureusement que j'ai fait ce voyage de repérage en Iran.

Pour le choix de mes reportages, je pars toujours d'une problématique négative, et j'essaie ensuite de trouver des acteurs et actrices du changement. Des gens qui ont réussi à faire évoluer les mentalités d'une société.

J'ai passé au moins une semaine avec chacune, à dormir chez elles, et même un peu plus de temps avec Mahsa.

On est devenues très proches, et ça se ressent aussi dans mes photos : j'ai eu accès à plus de scènes de vie avec Mahsa qu'avec Gunay ou Zahra.

Je savais que j'avais envie de me rendre en Colombie, où un conflit a duré des années, et durant lequel les personnes les plus touchées étaient évidemment les femmes.

Je ne pourrais pas être freelance en Belgique. Financièrement, ça serait impossible, car le coût de la vie y est hyper élevé.

En Turquie, la vie coûte dix fois moins cher, ça permet donc de beaucoup mieux composer et de mieux m'en sortir.

C'est important de pouvoir justifier pourquoi on travaille sur tel sujet et pourquoi ça nous prend comme ça aux tripes.

Un sujet ne sera jamais aussi fort si on le fait juste parce qu'on sait qu'il va se vendre, si on le fait sans émotion.
Ça se voit tout de suite dans le reportage.
Ça n'est pas très authentique.

Je ne sais pas s'il faut prendre de la distance...
En tout cas, moi je n'en prends pas !

À la frontière greco-turque, c'était trop d'émotions.
Ça se passe très vite, c'est très dur.

Mais dans ces moments-là, j'estime toujours que j'observe la vie de personnes, une vie extrêmement injuste. Ça me touche énormément, mais je n'ai pas le droit de dire "c'est trop dur, j'arrête".

Non, l'important c'est que l'on parle de tout ça.

Le plus important pour moi, c'est que les projets que je fais soient utiles à ces personnes. Il faut qu'il y ait un échange.

Des fois, je me demande si je dérange, si je ne suis pas trop intrusive. C'est souvent le dilemme dans ma tête.

Je sais que beaucoup de journalistes ne se posent pas ces questions. J'ai déjà raté certaines informations à cause de ça.

En Iran, j'avais l'impression de faire quelque chose d'utile. Pareil sur la communauté syrienne. C'est un autre point de vue que tout ce qu'on entend.

C'est important pour moi de donner la parole ou de montrer la réalité d'autres personnes. D'être d'utilité publique, pour la société et pour ces femmes. J'espère.

On parle beaucoup d'être objectif, mais je pense que la qualité la plus importante chez un photojournaliste, c'est l'honnêteté.

L'honnêteté vis-à-vis des personnes qu'on suit, vis-à-vis des personnes qui vont regarder notre travail.

L'honnêteté c'est primordial.

Un immense merci à Marie Tihon pour sa disponibilité et ce partage.

Retrouvez son travail sur Instagram et sur son site web.

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