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Rencontre(s)

Régis Defurnaux, photographe humanitaire

J'ai beaucoup de mal avec les compartimentages. Je pense qu'il y a une pratique de l'image au sens large. On se met à mal et on s'empêche de communiquer entre nous, de collaborer et d'avoir une vision très large et très englobante de toute une série de pratiques.
Par contre, la question gagne en intérêt si on vient repréciser plutôt sur l'usage, car il y a effectivement des usages très différents.

Pour cette photo du gamin et de l'oiseau, j'aurais pu sélectionner des photos plus évidentes. Le gamin avec son aigle de face, un portrait classique, et ça aurait été tout aussi joli. Mais moi je préfère justement qu'on ne voit pas les visages. Je préfère qu'on soit de dos.

Je préfère cette gestuelle parce qu'on peut réellement rentrer dans un univers qui va à la fois être le leur. On y vient avec son propre imaginaire et sa propre sensibilité, et c'est là que dans l'editing, on peut créer une zone de rencontre.

Arkalak, 12 ans, lors d'une session de chasse avec son aigle qu'il élève depuis deux ans. Comme son papa, il commence à prendre part à des festivals d'aigliers et les nombreuses compétitions qui valorisent la qualité de la relation entre l'oiseau et son dresseur. Bayan Olgi Province - Mongolia © regisdefurnaux.com

Dans mon passeport, j'ai toujours un polaroïd de mes 3 gamins.

On n'en parle pas beaucoup, mais on photographie avec tout ce qu'on est. Si on est un père, on photographie avec ça, on a ça dans les tripes.

Il n'y a pas un seul reportage où je suis parti sans eux.

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Il y a cet aspect migratoire, cet espèce de déplacement qui me fascine. C'est un fil rouge de tous mes travaux et une de mes obsessions.

On est tous très conscients qu'il y a une perte de biodiversité. Ca pour moi c'est l'urgence numéro un.

Mais ce qu'il faut dire tout de suite après, c'est que cette perte de biodiversité elle est intrinsèquement liée, et qu'elle produit automatiquement une perte de diversité culturelle.

Sugaraa, un jeune Dukha, scie - non sans peine - les bois d'un renne afin de les vendre aux touristes chinois qui les transforment en poudre pour un usage en médecine traditionnelle. Chaque été, pas moins de 500 touristes fréquentent le camp dont essentiellement des Chinois et des Israéliens. Cet apport touristique permet à la famille de financer la scolarité des enfants et au fils aîné de suivre des études supérieures à la capitale. Khovsgol Province- Mongolia © regisdefurnaux.com
Aankhaa, 42 ans, trait ses rennes au moment du lever de lune. Elle a épousé un Dukha et est devenue éleveuse. Elle n'a aucun regret d'avoir abandonné la ville dans laquelle elle a grandit pour la taïga et sa rudesse. Sa seule inquiétude concerne ses enfants: vont-ils continuer cette vie semi-nomade après elle ? Khovsgol Province - Mongolia © regisdefurnaux.com
Tamir, 2 ans, perdu dans la douceur de sa sieste en pleine taïga de l'Est. Khovsgol Province - Mongolia © regisdefurnaux.com

Sur place on n'est pas tout seul. Ca me choque de voir des travaux de très grands photographes et de ne pas voir apparaître suffisamment les fixers qui sont en fait nos âmes soeurs.

Les frontières sont une catastrophe pour les êtres humains, une catastrophe pour les écosystèmes.
Les compartiments, c'est un problème, et séparer l'action des ONG entre elles, je pense que c'est potentiellement un problème.
(...)
Depuis tout petit je suis incapable de voir les frontières.

District 11 d'Ulaanbaatar, une brume de pollution atmosphérique se lève en même temps que le soleil. Cette photographie fait partie d'un campagne de prévention contre la pollution de l'air dans le cadre des projets SWITCH. En effet, la capitale mongole est la plus polluée du monde au regard des microparticules. L'usage massif du charbon pour se chauffer et produire de l'électricité en est la cause principale. Ulaanbaatar - Mongolia © regisdefurnaux.com

Il y a à la fois l'opportunité, et puis aussi un peu d'opportunisme. Il faut revendiquer une dose d'opportunisme. Il faut avoir l'intelligence de dire qu'on a des envies personnelles, et puis en même temps de voir une opportunité.

En photographie, à un moment donné, on veut quelque chose. Mais le tout c'est la manière. C'est-à-dire qu'on ne le veut pas de manière agressive, on ne le veut pas avec de l'ego. On le veut dans une dimension de participer, de partager quelque chose, et de se diluer.

L'ONG n'est pas quelque chose que je considère comme un moyen, c'est un vrai partenaire.

En revenant dans toutes ces photos, je me suis rendu compte que quand ces photos sont vraiment importantes, c'est presque de la photo corporate et non pas de la photo où l'on peut affirmer une signature photographique. On doit délivrer quelque chose avec un certain canevas, une certaine attente. On ne peut pas faire des choses trop artistiques.

Je pense que les ONG se dirigent de plus en plus vers quelque chose qui est de l'ordre du narratif, avec la volonté de ne pas simplement choquer ou émouvoir, mais la volonté de faire prendre conscience. Et cette prise de conscience va être plus profonde si on arrive à partager une histoire.

On peut dire la réalité en une image violente, mais on ne pourra pas la faire comprendre.

Il ne faudrait pas avoir cette idée que 5 ou 6 images changent le monde.

Par contre, ce qui peut changer le quotidien pour des groupes humains dans des endroits relativement petits, c'est le cumul de travaux de différents photographes, qui couche après couche, reportage après reportage, vont dénoncer un problème.

Une courte pause pour un groupe de mineurs dans un des réseaux de Nalaikh par 120 mètres sous la surface. Ces équipes travaillent par rotation de 12 heures pendant lesquelles ils sortent une dizaine de traineaux chargés de charbon brut. Nalaikh - Mongolia © regisdefurnaux.com
4 mineurs sont morts le 5 janvier 2019 dans un feu de mine. Comme l'équipement de ces conduits souterrains est très sommaire, il est fréquent qu'un feu se déclare à cause d'un court circuit électrique sur un fil dénudé. Nalaikh - Mongolia © regisdefurnaux.com

La vie n'est pas que tristesse. C'est aussi de la joie, du beau. Il y a aussi des moments de partages, de rencontres, de découvertes.

Si on n'avait plus que ce discours alarmiste, misérabiliste, défaitiste, catastrophiste, etc, on trahirait une partie de la vie et du réel parce qu'il y a aussi de la joie.

Quand je suis au Japon, je suis dans un registre plus esthétique, plus esthétisant, et ça fait du bien à l'oeil.

Cet aspect du beau, de splendeur du monde devant soi, de contemplation, il doit être là. Et il doit faire chemin avec une dimension de rage, de colère, de tentative de faire bouger les choses, et de les faire advenir vers quelque chose de meilleur.

Je ne peux pas imaginer un monde juste sans beauté, mais je ne peux pas imaginer non plus un monde de beauté sans justice.

Le fils de Tuya Purejav, une éleveuse de chameaux du désert de Gobi conditionne ses chameaux avant une journée de progression. Comme pour les chevaux, les chameaux ne sont que partiellement débourés, conservant ainsi un caractère très sauvage. Gobi desert - Mongolia © regisdefurnaux.com
Bairan, 72 ans, dans sa grande maison familiale dans laquelle elle élève ses petits-enfants depuis le déces inopiné de son fils. Alors qu'elle entrevoyait la mort comme une libération, elle veut à présent vivre le plus longtemps possible pour accompagner ses petits-fils. Bayan Olgi Province - Mongolia © regisdefurnaux.com
En direction du lac de Daïn Kul, entre la Chine, la Russie, le Kazakhstan et la Mongolie, un troupeau fait face au vent. Bayan Olgi Province - Mongolia © regisdefurnaux.com

Un immense merci à Régis pour sa disponibilité et ce partage.

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